OCTOBER LENNON

 

« 'cause I miss you everytime »

Ivy. Tel était le prénom de cette femme que j'accompagnais sur scène ce soir. Une femme avec un profond et énorme talent. Une femme en laquelle je croyais dur comme fer en termes de réussite artistique. Pourtant, vous me direz, qui suis-je réellement pour pouvoir juger du talent d'une artiste ou d'une autre? Certes, j'étais une compositrice. Oui, je baignais dans la musique depuis mon plus jeune âge. Et même si j'avais de grosses connaissances et étais considérée comme relativement compétente par mes pairs dans ce domaine, je ne me considérais nullement le droit de juger d'un talent ou d'une opportunité de carrière pour qui que ce soit. Qu'un avenir se tienne au creux de mes mains et dont la tournure dépendrait uniquement de mon approbation ou d'un non catégorique, je m'y refusais. Je n'en n'avais pas le droit. Et je ne désirais aucunement cette responsabilité. Mais, pour Ivy, là, oui, j'avais accepté de plonger avec elle. Sa voix, musicalement parlant, m'attirait et éveillait mon inspiration. Elle m'avait choisi, elle m'avait voulu pour composer l'ensemble de ses morceaux. Je n'avais obéi qu'à la loi du travail avant de me retrouver heureuse de cette rencontre musicale, d'en éprouver un certain plaisir et une certaine fougue à user de mes instruments et de ma console de mixage pour la concrétisation de son album. Son premier album. Un élément prédominant pour savoir si elle était destinée à être plébiscité ou bien à connaître un simple succès éphémère. Toutefois, je suis persuadé qu'à ses côtés, je pourrais l'aider à faire de grande chose. Néanmoins, je n'ai pas de boule de cristal, et de demain, nul n'est certain. Alors ne demeure que l'instant présent et cet instant que je redoutais plus que tout: me présenter à ses côtés sur scène.

Je suis dans l'ombre. Un tintement semblable à une boite à musique se fait entendre. Seule Ivy demeure dans la lumière. Mon aura est entourée d'un contre-jour aux saveurs rougeoyantes. Mes premières notes accompagnent le son de sa voix. Que je le veuille ou non, l'instant fatidique de la scène était de retour. Mais fort heureusement, la bulle que représentait mon violon était amplement suffisante pour que j'en fasse abstraction. De moi-même, je ne me serais jamais portée volontaire pour accompagner Ivy. Et, ce, pour les mêmes raisons qui m'ont d'avantage poussée vers le royaume de l'ombre de la composition musicale au lieu de la place scintillante et éclatante de tous ces virtuoses musicaux. Je ne cherchais nullement le succès, la gloire, le strass et les paillettes. Je ne cacherai nullement que l'idée d'être ainsi surexposée me mettait profondément mal à l'aise. Sentir tous ces regards se poser sur moi, j'aurais la sensation d'être totalement nue, physiquement comme psychologiquement parlant. Cette sensation que tous mes silences, que toutes mes pensées et que mes secrets les plus chers soient à la portée de tout un chacun. Ce sentiment désagréable d'être jugée entièrement, sans traitement de faveur ni compassion aucune. Voir ma vie s'étaler jour après jour dans des magazines, détaillant chacun de mes faits et gestes pour en alimenter autant de fascination que de scandales. Non, cela ne me déstabilisait pas comme pensée, cela m'effrayait totalement! Bref! Tout cela pour dire que, oui, c'était Ivy qui m'avait eu par un deal que je n'avais pu refuser: chanter cette chanson que j'avais composée dans sa totalité, de la musique aux paroles, à condition que je l'accompagne au violon sur scène ce soir. Et, pour elle, j'avais accepté de relever ce 'défi'.

Premier refrain. C'est à moi. Je sors de l'ombre. La lumière éclate en plusieurs morceaux, chacun d'entre eux me mettant totalement en valeur sans que j'en ai véritablement conscience. Mes yeux sont mi-clos. Mes sourcils se froncent et s'adoucissent en fonction de l'intensité des accords ou de ce que cette mélodie me fait ressentir. Intérieurement, je brise cette bulle, je brise ces murs que je m'impose sans réellement le savoir. Je me laisse totalement portée. Je suis dans mon monde, dans mon univers… Celui où le violon me guide dans son éternité de richesse et de saveur. Mon rôle de messagère est de faire parvenir cette intensité et cette émotion que me murmure mon fidèle compagnon à cordes. Il n'y a pas de salle remplie. Il n'y a pas cette foule de gens qui a le regard tourné vers Ivy et notre prestation. Il n'y a que cet archet, il n'y a que ces cordes, il n'y a que cette voix… Et il y a ce visage, brume de mes souvenirs qui me revient sans cesse dans ce genre de tumulte musical. À se demander si, depuis toutes ces années, je joue pour le plaisir de la musique ou bien pour cette personne à qui j'aurais pu jouer et composer toutes les mélodies même du monde. Le second refrain arrive. Je me libère d'avantage. Cette fois-ci, je joue de courbures et de déplacements presque gracieux pendant que mes doigts se déchainent sur mon fidèle allié. Quelle est cette force qui me pousse? Quel est ce souffle qui me guide avec autant de ferveur? La musique? Une aura? Une présence? Je n'en sais rien… Ma seule certitude, c'est que je n'arrive pas à m'arrêter et que je ne lutte aucunement pour m'extérioriser de cette manière. Il y a la musique. Il y a l'inspiration. Il y a la magie. Le visage de mes souvenirs est ancré à mes côtés derrière mes paupières closes. Après autant d'années encore, tu arrives à m'animer cette fougue que je n'ai compris, que je ne suis jamais parvenue à maîtriser lorsque je jouais en pensant à toi…